
Pour Tarek Mitri, ministre de la Culture libanais, qui a pris la parole à Bruxelles, à l’invitation de la Fondation Boghossian , le Liban, blanc comme la montagne enneigée est un projet, une terre de passeurs de cultures entre Arabie et Phénicie, déchirée par les conflits identitaires, écartelée entre un Occident matérialiste et hédoniste et un Orient fanatique et traditionaliste.
Le Liban cherche à jeter des passerelles en gérant, plutôt mal, son pluralisme qui pourtant est sa principale richesse. C’est un pays carrefour ou on se croise, on se rencontre, où on se sépare parfois.
Le Liban est un état multiconfessionnel et la gestion de ce pluralisme religieux est infiniment complexe car il n’existe pas pour l’organiser d’équation magique. Bien au contraire une communautarisation excessive de la politique le taraude ainsi qu’une « politisation » des rapports entre communautés.
La solution ne peut venir que de l’émergence d’élites politiques capables de travailler dans une logique trans confessionnelle. Seul le dialogue interreligieux peut nous aider à sortir de l’impasse affirme cet orthodoxe de tendance universaliste.
Globalement il constate avec une pointe d’optimisme que même entre Occident et Orient le scénario de la confrontation au nom de deux imaginaires antinomiques ne se réalise pas. Il est persuadé qu’il existe dans le monde occidental et musulman un antidote à la guerre des civilisations.
En effet, il y a une masse critique de croyants qui puisent dans le meilleur de leurs ressources spirituelles pour s’ouvrir à autrui et pensent que c’est une nécessité éthique. Le dialogue n’est pas un luxe, c’est un besoin vital.

Beyrouth sa capitale en ruine fut un havre cosmopolite sans équivalent. Elle demeure la ville aux 500 éditeurs où on lit, écrit et publie en trois langues (arabe, français et anglais). A ce titre, elle croit très fort en sa nouvelle vocation de capitale mondiale du livre et elle accueillera l’an prochain, au festival du livre, tous les libraires du monde pendant des mois, dans ce climat de tolérance et de pluralisme qui fait son charme.
La paix n’est pas pour demain au Moyen Orient
Pour Leyla Chaid, elle aussi invitée à s’exprimer à Flagey, si l’événement tant attendu dans le Proche Orient c’est de rendre possible l’impossible, cet avènement de la paix n’est pas vraiment proche, pas plus au Liban, qu’en Palestine au demeurant. Et d’en rendre responsable l’Europe qui ne veut pas être à la hauteur de son ambition, et des ses responsabilités historiques. Une Europe pas très courageuse et si peu présente en Méditerranée et en Orient. Pourtant il ne manque pas de forces vives en Palestine, au Liban et en Irak.

A ses yeux, les Palestiniens ne sont pas des immigrés mais des expulsés qui ne se battent pas contre Israël essentiellement mais contre l’indifférence européenne. Seul un discours de caractère culturel peut désamorcer les passions : les voix de la musique de la littérature et des arts sur une terre qui produit de magnifiques créateurs. Régis Debray croit entendre plus de « je » chez les Israéliens, plus de « nous » chez les Palestiniens, Leyla Chaid ne partage pas cette analyse car c’est à travers l’expression des artistes que s’exprime le « je » palestinien. Ils ne font en cela que suivre l’exemple brillant de la culture arménienne. Il existe d’ailleurs en Palestine une communauté arménienne qui participe d’un pôle d’excellence.

"LaTerre sainte rend fêlé"(extraits de la Libre Belgique )
Régis Debray a sillonné le Moyen-Orient en refaisant les voyages de Jésus. Mais aujourd'hui, la région n'est à ses yeux que frontières, barrages, cloisons, murs, visas.

Une bien riche idée ! Refaire les voyages de Jésus aujourd'hui. Il y a 2 000 ans, il pouvait passer de Cana au lac de Tibériade, traverser le Jourdain ou aller du désert à Jérusalem sans visa, ni carte d'identité. Aujourd'hui, ces lieux des Evangiles sont en Israël, en Palestine, au Liban, en Syrie, a Gaza, en Egypte. Et partout, il n'y a plus que frontières, haines et conflits.

Refaire les itinéraires de Jésus au Moyen-Orient est le pari que Régis Debray a réalisé pour en ramener "Un candide en Terre sainte", un livre qui se lit comme une série de reportages passionnants sur les Juifs, Chrétiens et Musulmans qu'il a rencontrés et les "surprenantes et parfois rebutantes vérités" qu'il a croisées. Il est allé à Gaza comme à Sdérot, il a vu les barrages israéliens, il a rencontré des chrétiens arabes menacés de disparition.
L'écrivain philosophe participa lui aussi aux trois journées de dialogue entre l'Occident et l'Orient organisées par la Fondation Boghossian au Flagey.
Régis Debray se définit lui-même comme chrétien athée, c'est-à-dire quelqu'un qui ne croit pas à l'existence de Dieu mais qui est fidèle aux valeurs de la civilisation chrétienne.
Que dirait Jésus s'il revenait là ?

Il réfléchirait au retour du refoulé paganiste. Il dirait : vous ne m'avez pas compris, vous avez recréé des clans et des tribus, des territoires. Je voulais être universel et vous m'avez submergé de particularismes nationaux. Aujourd'hui, les moines arméniens et orthodoxes s'échangent des coups de crosse au Saint-Sépulcre, et, à Nazareth, les Latins et les Russes ont encore échangé des coups de poing il y seulement huit jours. Abraham aussi dirait que ces querelles de familles sont les pires et que les jalousies entre consanguins sont pires que les batailles pour des intérêts car on peut transiger sur les intérêts mais pas sur les valeurs.

Du temps de Jésus, avec l'empire romain, il n'y avait pas de barrières (les empires avaient au moins ça de bon). Mais l'arrivée des États nations et les conflits religieux en ont créés. Jésus pouvait aller de Haute Galilée à Tyr et Sidon au Liban en quelques heures, aujourd'hui, il faut passer par Chypre ! Cette frontière, il faut maintenant l'affronter, la comprendre, pour créer des passages. C'est mieux que de s'appeler "sans frontières" de manière présomptueuse. Les trois monothéismes sont sans doute trop proches pour pouvoir s'entendre. Le caveau des patriarches à Hébron est devenu un lieu ensanglanté. Et si les chrétiens ont la chance de ne pas devoir partager leurs lieux saints, ils en font encore des lieux de bagarres entre Coptes ou franciscains.

Gardez-vous un espoir pour cette région ?
Scott Fitzgerald disait : "Il faut comprendre que les choses sont sans espoir et cependant être décidés à les changer". Il disait cela dans un livre intitulé " La Fêlure ", Et on est toujours un peu fêlé quand on rentre de Terre sainte.