
Comment choisit-on un Nobel ? Le fonctionnement de l'institution suédoise est entouré de mystère, entre autres parce que ses archives sont tenues secrètes pendant cinquante ans. C'est donc cette année, en 2008, que se sont ouvertes celles de 1957, année où Albert Camus a obtenu le prix Nobel de littérature. Le nom de l'auteur de L'Etranger circulait depuis la fin des années 1940, en même temps que celui d'André Malraux. Entre les deux hommes, ce sera le match de la décennie. Le Monde a consulté les archives de l'académie suédoise pour en faire le récit.
1954.
Cette année-là, il y a vingt-sept écrivains pressentis, dont l'Espagnol Ramon Menendez Pidal, l'Américain Ernest Hemingway, Malraux et Camus encore. Ce n'est pas la première fois qu'on les trouve dans la liste. Le comité Nobel, un groupe restreint qui enquête et suggère un choix aux académiciens, propose Hemingway en n° 1 et l'Islandais Halldor Laxness en n° 2. Le Chilien Manuel Rojas (né à Buenos Aires) est soutenu par diverses organisations et institutions argentines : "Il est clair que c'est organisé, note le comité, mais sa qualité littéraire ne suffit pas." Pidal, alors âgé de 85 ans, est rejeté lui aussi.
Le cas Malraux occupe beaucoup les Nobel. Les Suédois ont de la tendresse pour lui. Il y a eu Le Musée imaginaire (1947), Les Voix du silence (1951)... Mais "sa candidature ne peut pas être d'actualité tant qu'il ne revient pas à la forme romanesque". Le poète et prosateur espagnol Juan Ramon Jimenez est jugé trop exclusif, trop hermétique.
Le président du comité émet son avis : on attendait du nouveau dans la manière d'Hemingway, et "c'est arrivé avec Le Vieil Homme et la mer", paru deux ans plus tôt. Certes, il y a du cynisme et de la brutalité dans son écriture, ce qui s'accorde mal avec l'idéal Nobel, remarque Herr Österling, l'homme fort du comité. Mais il y a indéniablement une forme d'héroïsme qui le séduit. Hemingway, alors ? Ce n'est pas gagné. Herr Siwertz, un autre pilier du comité, objecte : Hemingway "n'a pas besoin d'un Nobel pour devenir célèbre ou riche". Il ajoute : "J'ai de plus en plus le sentiment que depuis trop d'années nous nous en tenons au baromètre de la célébrité."
Camus ? "Son dernier livre, L'Eté, a des pages d'une beauté classique, écrit Österling. Son nom peut être à nouveau actuel. Camus représente toujours l'une des meilleures promesses de la littérature française, et encore une oeuvre de la même qualité que La Peste mettrait sûrement sa candidature dans une position plus favorable." Comme avec Malraux, on sent que le jury Nobel n'attend qu'un "petit" effort de l'écrivain. Dans le secret du vote, Hemingway finalement l'emporte.
1955.
Quarante-six noms sur la première liste de pressentis, dont dix-sept nouveaux. Camus : "Rien de vraiment nouveau pour évaluer cette candidature, qui comme toujours est remise à plus tard pour mûrir." Henri Bosco : "On ne voit pas comment il pourrait passer avant d'autres Français." Malraux : "En attente, avec le même motif que l'an dernier." Jules Romains : rien de nouveau. Georges Duhamel : rien de nouveau. Paul Claudel : mort durant l'année. Rarement autant de Français auront été sur la liste. L'Islandais Halldór Laxness est choisi.
1956.
Quarante-quatre écrivains et une forte présence française - douze noms : Georges Duhamel, Marcel Pagnol, Henry de Montherlant, Henri Bosco, Jean Guitton, Marthe Bibesco, Saint-John Perse, André Malraux, Gabriel Marcel, Albert Camus, Jean Schlumberger, Jules Supervielle. Si les candidats sont proposés par une ou plusieurs personnes et institutions, Pidal, le premier sur la liste, ne compte pas moins de quatre pages compactes de parrains. Pour Herr Österling, le choix doit se faire entre lui et Jimenez : "Il est évident que la zone espagnole a été sérieusement négligée depuis 1922, lorsque le dramaturge Jacinto Benavente a été récompensé." "D'accord avec l'option espagnole, concède Herr Siwertz, mais je voudrais, en raison de l'importance d'un prix lyrique cette année, donner la préférence à Jimenez sur Pidal." Herr Gullberg est d'accord.
A propos de Malraux, éternel recalé, toujours le même argument. Sur Camus, une vraie lueur d'espoir : "Après une longue attente, l'écrivain français a, avant l'été, publié une nouvelle oeuvre, le récit La Chute , qui dans tous les sens est à même de le placer au centre de l'attention. (...) Le livre est un chef-d'oeuvre qui, dans son format limité, mérite d'être comparé avec La Peste. Le comité estime que cette nouvelle oeuvre renforce indéniablement les mérites de Camus pour obtenir le Nobel, même si un délai de quelques années pour un examen approfondi peut être nécessaire." Juan Ramon Jimenez est consacré.
1957.
Quarante-neuf noms, dont douze nouveaux. Une douzaine de Français sont en lice. Sartre est cité pour la première fois. Mais son Saint Genet, comédien et martyr (1952), "encore frais dans les mémoires", semble "douteux".
Cette fois-ci, l'avis que le comité propose aux académiciens est unanime : Albert Camus. Quelques mois auparavant, le 14 avril, Anders Österling avait écrit une critique élogieuse de L'Exil et le Royaume dans le quotidien Stockholms Tidningen. Mais Malraux, alors ? Dans les avis rédigés par les membres du comité avant qu'ils soumettent leur choix, les deux hommes sont mis en compétition.
Malraux-Camus : le match qui déchire les Nobel. Camus, "en plein développement". "Sa mise en valeur pressante de l'absurdité de l'existence humaine n'est pas le fait d'un négativisme stérile", remarque le comité, toujours attentif à ce que l'esprit du testament d'Alfred Nobel, qui privilégie l'idéal, soit préservé.
Malraux, pour sa part, a publié L'Espoir (1937), "il y a vingt ans", précise le comité. Quant à La Lutte avec l'ange (1943, réédité en 1948 sous le titre Les Noyés de l'Altenburg), l'autre publication digne d'être évaluée pour le Nobel, "elle demeure un fragment d'une oeuvre inachevée". Le comité ne peut donc pas "estimer qu'il y aurait une quelconque injustice, si l'académie donne la priorité au plus jeune Camus, un écrivain actif et encore riche de promesses qui est actuellement au centre de l'attention du monde littéraire, même au-delà des frontières de la France ".
17 octobre 1957, Albert Camus est désigné "pour son importante oeuvre littéraire qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes". Malraux, lui, n'aura jamais le prix.
(Olivier Truc, Le Monde)
COMMENTAIRE DE DIVERCITY
«MA PATRIE C’EST LA LANGUE FRANCAISE »
Deux choses nous interpellent dans la biographie de Camus : ses parents, son père mort à la guerre de 14 et sa mère dont les biographes dissident qu’elle est d’origine espagnole. Bref il est issu d’un couple mixte et né français en terre algérienne où ses parents ont émigré. Ensuite, sa patrie d’origine. Sa patrie, c’est la langue française. Abdelaziz Kacem dit pratiquement la même chose : « ma mère est arabe, ma nourrice française ». En somme ces deux hommes sont des cosmopolites qui s’ignorent. Tous deux sont de purs produits des hussards de la république. Mais peut être que Camus ne l’ignore pas, il serait intéressant de le relire avec cette en question en tête. Ce qui donne tout leur prix aux grandes oeuvres, c’est que chaque génération en découvre une nouvelle facette.
La vie d'Albert Camus
Un enfant pauvre

1913 : Naissance, le 7 novembre, d'Albert Camus à Mondovi, petit village du Constantinois, près de Bône (Algérie).
1914 : Camus ne connaîtra pas son père, ouvrier caviste : Lucien Camus, mobilisé et blessé à la bataille de la Marne en septembre 1914, meurt à l'hôpital militaire de Saint-Brieuc à l'âge de 28 ans : de son père, il ne connaîtra qu'une photographie, et une anecdote significative : son dégoût devant le spectacle d'une exécution capitale. Albert Camus, élevé par sa mère mais surtout par une grand-mère autoritaire, et par un oncle boucher, lecteur de Gide, « apprend la misère » dans le quartier populaire de Belcourt, à Alger où ils ont émigrés : « La misère m'empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l'histoire ; le soleil m'apprit que l'histoire n'est pas tout. » Sa mère, Catherine Sintès, d'origine espagnole, fait des ménages pour nourrir ses deux fils, Lucien et Albert. Camus éprouve pour pour elle une affection sans bornes, mais il n'y aura jamais de véritable communication entre l'enfant et cette mère exténuée par le travail, à demi-sourde et presque analphabète. À sa mère qui parlait peu et difficilement, « qui ne savait même pas lire », le lie « toute sa sensibilité » ; on peut penser qu'une partie de l'œuvre s'est édifiée pour tenter d'équilibrer cette absence et ce silence, ou de leur répondre.
1923/1924 : A l'école communale, au CM2, un instituteur, Louis Germain (Le discours de Suède (1957), lors de la remise du prix Nobel de littérature, sera dédié à l'instituteur grâce à qui il put poursuivre des études.), distingue l'enfant, conscient des facultés intellectuelles de l'enfant, il le fait travailler bénévolement après les heures de classe, et convainc sa famille de présenter le jeune écolier au concours des bourses qui allait lui permettre d'aller au lycée. Reçu, Camus entre au lycée Bugeaud d'Alger en 1924.
Les années de formation
Camus est un adolescent heureux de vivre, sensuel, amoureux de la mer et des paysages algériens. Excellent nageur, c'est pourtant le football qui a sa préférence.
1928 : il entre au Racing Universitaire d'Alger
1929 : Camus lit Gide
1930 : Il passe son baccalauréat. Premières atteintes de la tuberculose, maladie qui lui fait brutalement prendre conscience de l'injustice faite à l'homme ( la mort est le plus grand scandale de la création ) et qui aiguise son appétit de vivre dans le seul monde qui nous soit donné : dès sa première manifestation, la maladie lui apprend qu'il est seul, et mortel.
1931 : A la khâgne ( = Classe préparatoire à l'Ecole normale supérieure) d'Alger, il rencontre le professeur et philosophe Jean Grenier qui a une influence déterminante sur sa formation.
1932 : Premiers essais, premiers écrits publiés dans la revue Sud.
1933 : Étude de philosophie à la faculté d'Alger. Milite contre le fascisme.
1934 : Mariage en juin avec Simone Hié. Ils se sépareront deux ans plus tard. Adhésion au parti communiste.
1936 : Camus ayant achevée sa licence de philosophie, il prépare son diplôme d'études supérieures sur « les rapports du néoplatonisme et de la métaphysique chrétienne ».
1937 : Les premières atteintes d'une tuberculose, qui le contraindra à de fréquents repos en cure, lui ferment l'accès à l'agrégation (il est rejeté deux fois à l'examen médical) et du professorat auquel il se destinait. Il doit rompre avec le parti communiste qui le somme de réviser ses convictions, favorables aux revendications musulmanes.
Journalisme et Résistance
1938/1940 : Camus, qui revendique son statut d'intellectuel, mais qui se veut également en prise directe avec le réel, trouve dans le journalisme un autre mode d'action et d'expression qui lui convient ; Camus fonde, avec Pascal Pia qui en est l'instigateur, le journal Alger républicain qui aussitôt tranche avec le silence complice des autres quotidiens. Camus fait scandale par ses prises de position contre l'oppression coloniale, contre une tutelle qui maintient dans la misère et l'asservissement du peuple musulman, il publie, dans les colonnes d'Alger républicain , puis de Soir républicain, organe du Front populaire, plus de cent articles : politique locale ou nationale, chroniques judiciaires et littéraires, reportages, dont l'important « Misère de la Kabylie ».
1940 : Camus quitte l'Algérie pour la France avec sa seconde femme ; mis à part un long séjour l'année suivante, il n'y reviendra plus que de loin en loin, mais les images lumineuses qu'il garde de sa terre natale continueront de vivre en lui, comme le montre L'Été (1954). Là, il est engagé au journal Paris-Soir en tant que secrétaire qu'il suit Clermont-Ferrand après l'armistice, puis à Lyon.
1941 : Entre dans la Résistance à l'intérieur du réseau Combat où il sera chargé de missions de renseignements. Il sera l'âme de ce journal clandestin dont il assume la direction jusqu'en 1947.
août 1944 : Camus devient le rédacteur en chef du journal Combat. Les articles très remarqués qu'il publie désormais seront rassemblés sous le titre d'Actuelles (1950 et 1953).
1945 : Camus dénonce la paix revenue, la sauvagerie de la justice sommaire d'après-guerre (à l'encontre des ex-collaborateurs) et les massacres de Sétif.
1947 : Il dénonce les massacres de Madagascar : « nous faisons dans ces cas-là ce que nous avons reproché aux Allemands de faire ».
La cessation des activités journalistiques ne marque pas, loin s'en faut, la fin de l'engagement. Camus a toujours fait entendre sa voix et pris position dans l'Histoire, inlassablement lutté pour la justice et la défense de la dignité humaine :
1949 : appel en faveur des communistes grecs condamnés à mort
1952 : démission de l'Unesco, qui admet en son sein l'Espagne franquiste
Mai 1955-février 1956 : Camus écrit dans L'express des chroniques où il traite de la crise algérienne ( ces « papiers » seront réunis plus tard et publiés sous le titre d'Actuelles III ).
1956 : Protestation contre la répression soviétique en Hongrie.
22 janvier : Camus lance un appel pour une trêve civile en Algérie. Appel qui ne rencontre aucun écho. De part et d'autre, les positions se durcissent, les actes de terrorisme se multiplient, le conflit se généralise. Camus invite les intellectuels à protester à l'O.N.U.
Un écrivain humaniste
1936/1939 - Fondateur et directeur de troupe (Camus a fondé le Théâtre du Travail en 1936, afin de mettre les œuvres dramatiques classiques et contemporaines à la portée du public défavorisé, qui deviendra le Théâtre de l'Equipe en 1937), acteur, metteur en scène, adaptateur, Camus est un homme de théâtre au sens plein ; son goût passionné du théâtre, dans ce qu'il a de plus concret, rejoint celui de la fête collective, où l'être peut dépasser sa solitude et forme une des constantes de sa vie et de son œuvre, attestée par ses créations originales, et ses magistrales adaptations, comme Le temps du mépris de Malraux, le Prométhée d'Eschyle, Les bas-fonds de Gorki, Le retour de l'enfant prodigue de Gide, Les frères Karamazov de Dostoïevski, mise en scène en 1938, dans l'adaptation de Copeau, etc. Rédaction collective d'une pièce militante, Révolte dans les Asturies.

Tournées en Algérie.
1937 : L'apprentissage du réel se fait avec difficulté, comme le prouvent ses tout premiers écrits consacrés au « quartier pauvre » – dont certains ont été publiés de manière posthume – mais aussi avec la « joie profonde » d'écrire. Les récits mi-autobiographiques, mi-symboliques de L'Envers et l'Endroit disent qu'« amour de vivre » et « désespoir de vivre » sont inséparables, que tout notre « royaume est de ce monde », affirment la pleine conscience de la solitude de l'homme, le tragique de son face-à-face avec la nature, et la volonté de « tenir les yeux ouverts sur la lumière comme sur la mort ». Camus livre quelques clés essentielles de son univers. L'Envers et l'Endroit est une série d'essais littéraires variés où apparaissent déjà les grands thèmes de sa maturité : la mort, le soleil, la Méditerranée , l'isolement, le destin de l'homme, le rapprochement entre désespoir et bonheur, etc.
Élaboration de son premier roman, La mort heureuse (1936 - 1939), roman resté inédit jusqu'en 1971, qui en revanche, est un échec, ou une erreur ; en dépit de fragments réussis, dont L'Étranger se souviendra, le roman manque de la nécessité interne que connaîtra toute l'œuvre à venir. Son héros, modèle d'égotisme, figure très nietzschéenne, est bien éloigné de toute préoccupation historique.
1939 : Publication des Noces (essai) : Plus lyriques, les essais de Noces orchestrent ces thèmes qu'ils inscrivent avec bonheur dans les paysages méditerranéens ; ils chantent la « gloire d'aimer sans mesure », la contemplation exaltée du monde, la vérité du soleil, de la mer, de la mort. La présence d'une subjectivité vivante, d'un « je » qui décrit ou médite, évite toute abstraction, et ouvre la voie aux personnages-narrateurs des romans, et au « je » des textes philosophiques.
1940 : Travaille aux « trois Absurdes » : L'étranger ( un roman ), Le mythe de Sisyphe ( un essai ) et Caligula ( une pièce de théâtre ). Le « cycle » est achevé le 21 février 1941. Remariage avec Francine Faure qui lui donnera deux enfants, Catherine et Jean.
1942 : Publication de L'étranger ( 15 juin ) et du Mythe de Sisyphe ( 16 octobre ) qui salue la naissance d'un grand écrivain.
1943 : Rencontre avec Sartre. Camus devient lecteur chez Gallimard. Publication clandestine des premières Lettres à un ami allemand. Première version de La Peste.
1944 : Le Malentendu (théâtre)
1945 : Première représentation de Caligula avec Gérard Philipe.
1946 : Voyage aux Etats-Unis
1947 : Publication de La peste ( 10 juin ), roman qui rencontre immédiatement un grand succès auprès du public et qui reçoit le prix des Critiques.
1948 : Première représentation de L'Etat de Siège
Décembre 1949 : première représentation des Justes au théâtre Hébertot.
1950 : Publications de Actuelles I et de Le Minotaure ou la halte d'Oran.
1951 : Publication de L'homme révolté essai qui suscitera de violentes polémiques et entraînera, en 1952, la rupture de Camus avec la gauche communiste, avec Sartre et sa revue, Les temps modernes. Sartre reprochait à Camus son anticommunisme et sa soumission aux valeurs bourgeoises.
1953 : Camus revient au théâtre, passion qui dominera toutes les dernières années de sa vie . Il traduit et adapte Les esprits (comédie de Pierre de Larivey) , La dévotion à la croix (de Pedro Calderon) qu'il présente au festival d'Angers (juin). En octobre, projetant de mettre en scène Les possédés, il travaille à l'adaptation du grand roman de Dostoïevski. Publication de Actuelles II.
1954 : Printemps : publication de L'été (essai).
4,5,6 octobre : court voyage aux Pays-Bas, unique séjour de Camus dans ce pays qui sert de cadre à La chute. Camus demeura deux jours à Amsterdam ; à la Haye , il visita le célèbre musée Mauritshuis, où il admira plus particulièrement les Rembrandt.
Premier novembre : le FLN ( le Front de libération nationale ) algérien passe à l'attaque ( meurtre de civils arabes et français). Début de la guerre d'Algérie qui fut pour Camus « un malheur personnel ».
1955 : Mars : représentation d'Un cas intéressant ( adaptation d'une pièce de Dino Buzzati ) au théâtre La Bruyère.
Avril : premier voyage de Camus en Grèce, lumineux berceau de la civilisation méditerranéenne, terre de « la pensée de midi » (conclusion de L'homme révolté ).
1956 : Mai : publication de La chute : roman insolite qui prend la forme d'un monologue dramatique, est directement inspirée par ce climat d'incompréhension et d'accusation. Mais au-delà de l'ironie et des sarcasmes de Jean-Baptiste Clamence, ce « prophète vide pour temps médiocres », cet « homme de notre temps » au « lyrisme cellulaire », qui exerce les étranges fonctions de « juge-pénitent », et, par l'aveu de sa culpabilité, veut entraîner son interlocuteur muet – ou son lecteur – à sa propre confession, Camus exprime une fois encore sa nostalgie de l'innocence et de la communion entre les êtres, dans un monde où chacun rêve de pouvoir, et où « le dialogue » a été « remplacé par le communiqué ». Cet avocat se dit coupable mais amène aussi les autres à reconnaître qu'ils sont coupables.
22 septembre : première représentation triomphale de Requiem pour une nonne, adaptation de l'œuvre de Faulkner.
1957 : L'exil et le royaume. (nouvelles)
Réflexions sur la peine capitale ( vibrant plaidoyer contre la violence « légale », contre la peine de mort ) en collaboration avec Arthur Koestler.
Représentation du Chevalier d'Olmedo ( adaptation de la pièce de Lope de Vega ) au festival d'Angers ( juin ).
Camus et ses enfants : Catherine et Jean, en juin 1957,
au festival d'Angers pour la représentation du Chevalier d'Olmedo.
10 décembre : Camus obtient le prix Nobel de littérature « pour l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes ».
Décembre 1957, Stockholm :
Réception de Camus à la maison des Bonnier (the Bonnier House), « Manilla » , à DjurgÉrden.
De gauche à droite : Michel Gallimard, Mme Jytte Bonnier, Camus, l'éditeur danois Otto Lindhardt.
1958 : Dépression. Parution de Discours de Suède et d'Actuelles III. Achète une maison à Lourmarin dans le Lubéron.
1959 : Représentation des Possédés de Dostoïevsky. Camus entreprend de nombreuses démarches pour donner corps à un vieux rêve : fonder sa propre compagnie théâtrale.
4 janvier 1960 : mort d'Albert Camus dans un accident de voiture près de Sens, au lieu-dit « Le Grand Frossard » en Montereau, dans l'automobile de Michel Gallimard, en pleine gloire, alors qu'il travaillait à un autre roman à caractère autobiographique, le Premier Homme (posthume, 1994)
1962 / 1964 : Carnets (posthume).
1971 : La Mort heureuse (première version de L'étranger ; posthume).
La carrière de Camus est donc celle d'un psychologue et d'un moraliste. Dans son exigence de probité, avec une réserve et une sobriété toutes classiques, il accorde la première place aux idées et refuse de sacrifier à la magie du style. Pourtant ce serait une erreur de méconnaître la variété et l'exacte appropriation de son art d'écrivain. Sans doute a-t-il su nous imposer dans L'étranger et La Peste ce style neutre, impersonnel, tout en notations sèches et monotones, qui est devenu inséparable du climat de l'absurde ; mais on découvre aisément dans son œuvre des résurgences de l'aptitude poétique à traduire les sensations dans leur pleine saveur qui triomphait dans Noces (1938), un des premiers essais où avant l'amère découverte de l'absurde, le jeune Camus célébrait avec fougue ses « noces avec le monde » . Et l'on sera sensible à l'ironie et à l'humour qui jettent çà et là de discrètes lueurs, avant de briller de tout leur éclat dans La Chute (1956), œuvre étrange et séduisante dont la verve et le rythme capricieux font songer à la « satire » du Neveu de Rameau.